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Sur la pile

Allemagne : la voie d’excès de Mélenchon

En voulant dénoncer le modèle économique de Berlin, l’eurodéputé tombe dans la caricature.
par Lilian Alemagna
publié le 8 mai 2015 à 19h56

Il a beau mettre des warnings dès les premières pages, ce «pamphlet» de Jean-Luc Mélenchon sur «le poison allemand» met mal à l'aise. Fini le tribun qui expliquait en 2011 qu'il ne fallait pas «accept[er] qu'on parle des Allemands en les réduisant à Mme Merkel». «L'Allemagne est de nouveau un danger», écrit-il d'emblée. Son «impérialisme […] est de retour», et l'UE est son «nouvel empire». Manquerait plus que les chars s'approchent du Rhin…

Mélenchon a écrit le Hareng de Bismarck pour «percer le blindage cotonneux des béatitudes et des langueurs de tant de commentateurs hypnotisés par l'Allemagne». Là est une première erreur de l'eurodéputé Front de gauche. Il aurait écrit ce livre entre 2010 et 2013, lorsque l'Allemagne était présentée en France comme un «modèle», on aurait acquiescé. Mais, depuis deux ans, les choix économiques de nos voisins et leurs conséquences sociales sont critiqués. Le livre de Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques (Made in Germany, Seuil), a fait changer d'avis bien des «médiacrates» comme les appelle Mélenchon.

«Annexion». Avant lui, une partie de la presse française avait déjà alerté sur le caractère «non coopératif» de l'économie allemande. Quant aux journaux de gauche, cela fait un paquet de temps qu'ils multiplient les reportages sur la précarité de la société ou les failles dans la transition énergétique. Pour son numéro spécial élections allemandes en 2013, Libération titrait ainsi : «L'envers d'un modèle».

Autre erreur de Mélenchon : croire qu'un homme de gauche comme lui, cultivé, peut tirer un quelconque bénéfice politique en jouant avec la flamme du nationalisme et les mauvais instincts antigermains. Pour lui, les «bougons teutons» ne sont rien d'autre que de «gros pollueurs» amateurs de «grosses bagnoles» qui n'hésitent pas à «déporter» leurs «vieux» en Europe de l'Est ou en Thaïlande… Au milieu de ses démonstrations, Mélenchon truffe son texte d'allusions douteuses. Il s'inquiète de l'«expansionnisme» allemand, répète sans cesse que la réunification a été une «annexion» de la RDA, oubliant au passage que ce pays a voté en mars 1990 - librement ce coup-ci - pour des partis souhaitant cette réunification rapide.

Pour Mélenchon, les défenseurs de l'Allemagne en France ne sont que des «miasmes de la collaboration»… Et lorsqu'il dénonce le rôle d'entreprises (Bayer, BASF…) dans la promotion des OGM en Europe, il glisse tranquillement : «On peut avoir peur des chimistes allemands.» Comme si les inventeurs du colza génétiquement modifié étaient les héritiers du Zyklon B… Résultat : toutes ses - bonnes - démonstrations sur l'impasse de «l'ordolibéralisme» porté par les gouvernants allemands en Europe, chiffres et exemples souvent solides à l'appui, se retrouvent noyés dans l'outrance et la haine de son propos. Pourquoi ce choix ? Avec de telles provocations, Mélenchon sera immanquablement accusé de «germanophobie» par ses contradicteurs. De quoi se poser en victime du «système médiatique» : le procédé ne fonctionne plus.

Antifascistes. Par ailleurs, on aurait aimé lire quelques mots sur ceux qui font bouger l'Allemagne : militants antinucléaires, défenseurs des libertés individuelles et numériques, antifascistes, syndicalistes se battant pour des hausses de salaire… Mélenchon ne connaît pas l'Allemagne. Il ne sait rien des Allemands, de leurs cultures - au pluriel - et de leurs évolutions de société aussi diverses que celle des Français. Il n'a jamais fait de séjour prolongé outre-Rhin comme il est coutumier de voyages en Amérique du Sud. On l'invite à y passer son été.

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